Un livre puissant et
dramatique.
A force de voir des
crimes aux infos, des fusillades, des agressions, des histoires de
meurtres un peu partout, on en oublierait presque la gravité extrême
des actes commis, et les nombreuses vies de détruites derrière tous
ces faits divers. On en banaliserait presque le propos. J'ai envie de
débuter cette chronique par une mélancolie, une envie de comprendre
pourquoi je vis dans un monde ou l'on sacralise les auteurs de
meurtres, au détriment des victimes, relayées au statut de second
rôle dans l'histoire de leur vie brisée. Ivan Jablonka nous plonge,
dès les premières lignes de « Lætitia », dans ce
postulat dévastateur qui m'a immédiatement fasciné. Ici on ne
mettra pas l'auteur du crime au premier plan, mais bel et bien
Lætitia, jeune fille au destin tragique, assassinée en 2011, alors
qu'elle n'avait que 18 ans.
La vie de Lætitia, et
l'enquête sur sa mort, sont expliqué avec une bienveillance et un
respect, que la mise en abîme de ses derniers jours nous parle comme
si nous la connaissions. Une histoire tragique dans laquelle on se
plonge avec une évidence fascinante. Une progression lente des
enjeux tragiques apparaît au fur et à mesure, un découpage
narratif qui expose les multiples points de vues progressivement, et
surtout une histoire qui porte sur la France d'aujourd'hui, un regard
inédit.
Jablonka raconte la vie
de Lætitia Perrais et de sa sœur jumelle, qui ont un apprentissage
de la vie si difficile, si brutal, si malchanceux, mais tragiquement
si banal. Une histoire franche qui, loin de toute mélancolie facile,
met l'accent sur ce qui compte chaque jour dans les décisions de la
vie quotidienne. Le récit met davantage en accusation les choses qui
peuvent paraître insignifiantes mais qui ont un impact sur la vie et
surtout sur la mort. L'auteur porte un regard rétrospectif sur cette
vie, avec ses défauts et ses moments inoubliables, faisant
étrangement écho à la notre.
Dans ses derniers jours,
Lætitia cherche à devenir femme, heureuse, réelle dans l'existence
tout simplement. On s'identifie facilement à ce récit, on
accompagne sans peine les décisions de la jeune fille. Jablonka
expose simplement ses défauts. On découvre son côté volage, ses
passions de gamine, ses fautes d'orthographes lorsqu'elle échange
par sms avec ses amis. Il nous fait même comprendre les décisions
fatales qui la mènera tout droit dans les griffes de son assassin.
Le narrateur se plonge
lui même dans l'histoire en expliquant progressivement ce qui l'a
poussé à vouloir écrire sur un sujet si délicat, dans un domaine
exploité principalement par la « presse sensations ». Il
joue sur un déferlement narratif profondément détaillé sur ses
propres motivations et comment l'écriture de ce livre l'a changé.
Malgré quelques répétitions de certains détails, il explique
brillamment les années des sœurs Perrais, jusqu'au fatidique soir
ou Lætitia perd la vie. Par son enquête il questionne la justice
Française, le mépris des politiques qui restent sourds aux demandes
de celle-ci pour fonctionner efficacement, mais observe aussi avec
froideur le suivi des détenus, toujours plus difficile et géré par
du personnel sans cesse réduit. N'empêche que jamais Jablonka
n'écrit de réquisitoire, que ce soit contre les erreurs des parents
biologiques, sur la famille adoptive des sœurs Perrais, ou même sur
l'auteur du crime. Jablonka dresse au contraire des portraits
touchant de parents dépassés, de flics dévoués brisés par
l'enquête, des juges, des collègues, des étudiants, et pas mal
d'anonymes dont la vie ne sera plus jamais la même depuis
l'assassinat horrible de Lætitia.
Même lorsqu'il s'agit
d'évoquer la récupération de Sarkozy de l’événement pour faire
le procès de la justice et déclenchant ainsi une grève des juges
en 2011, tout ceci est expliqué simplement avec franchise. Le style
est factuel et spirituel, de celui qui veut transmettre un propos à
charge, avec simplicité.
A la lecture de
l'existence de cette jeune fille, frappée par un destin funeste, une
leçon de vie s'impose. Avant que la mort ne nous emporte, faisons en
sorte d'avoir un apprentissage de la vie simple et empreint de bon
sens, malgré les incontournables cons et salauds qui nous collent
aux basques. J'ignore si ce message était celui à retenir.... mais
c'est ce que je retiendrais à la lecture de ce livre magnifique.