vendredi 21 juin 2019

Ivan Jablonka - Laëtitia (2017)

Un livre puissant et dramatique.
A force de voir des crimes aux infos, des fusillades, des agressions, des histoires de meurtres un peu partout, on en oublierait presque la gravité extrême des actes commis, et les nombreuses vies de détruites derrière tous ces faits divers. On en banaliserait presque le propos. J'ai envie de débuter cette chronique par une mélancolie, une envie de comprendre pourquoi je vis dans un monde ou l'on sacralise les auteurs de meurtres, au détriment des victimes, relayées au statut de second rôle dans l'histoire de leur vie brisée. Ivan Jablonka nous plonge, dès les premières lignes de « Lætitia », dans ce postulat dévastateur qui m'a immédiatement fasciné. Ici on ne mettra pas l'auteur du crime au premier plan, mais bel et bien Lætitia, jeune fille au destin tragique, assassinée en 2011, alors qu'elle n'avait que 18 ans.



La vie de Lætitia, et l'enquête sur sa mort, sont expliqué avec une bienveillance et un respect, que la mise en abîme de ses derniers jours nous parle comme si nous la connaissions. Une histoire tragique dans laquelle on se plonge avec une évidence fascinante. Une progression lente des enjeux tragiques apparaît au fur et à mesure, un découpage narratif qui expose les multiples points de vues progressivement, et surtout une histoire qui porte sur la France d'aujourd'hui, un regard inédit.
Jablonka raconte la vie de Lætitia Perrais et de sa sœur jumelle, qui ont un apprentissage de la vie si difficile, si brutal, si malchanceux, mais tragiquement si banal. Une histoire franche qui, loin de toute mélancolie facile, met l'accent sur ce qui compte chaque jour dans les décisions de la vie quotidienne. Le récit met davantage en accusation les choses qui peuvent paraître insignifiantes mais qui ont un impact sur la vie et surtout sur la mort. L'auteur porte un regard rétrospectif sur cette vie, avec ses défauts et ses moments inoubliables, faisant étrangement écho à la notre.
Dans ses derniers jours, Lætitia cherche à devenir femme, heureuse, réelle dans l'existence tout simplement. On s'identifie facilement à ce récit, on accompagne sans peine les décisions de la jeune fille. Jablonka expose simplement ses défauts. On découvre son côté volage, ses passions de gamine, ses fautes d'orthographes lorsqu'elle échange par sms avec ses amis. Il nous fait même comprendre les décisions fatales qui la mènera tout droit dans les griffes de son assassin.
Le narrateur se plonge lui même dans l'histoire en expliquant progressivement ce qui l'a poussé à vouloir écrire sur un sujet si délicat, dans un domaine exploité principalement par la « presse sensations ». Il joue sur un déferlement narratif profondément détaillé sur ses propres motivations et comment l'écriture de ce livre l'a changé. Malgré quelques répétitions de certains détails, il explique brillamment les années des sœurs Perrais, jusqu'au fatidique soir ou Lætitia perd la vie. Par son enquête il questionne la justice Française, le mépris des politiques qui restent sourds aux demandes de celle-ci pour fonctionner efficacement, mais observe aussi avec froideur le suivi des détenus, toujours plus difficile et géré par du personnel sans cesse réduit. N'empêche que jamais Jablonka n'écrit de réquisitoire, que ce soit contre les erreurs des parents biologiques, sur la famille adoptive des sœurs Perrais, ou même sur l'auteur du crime. Jablonka dresse au contraire des portraits touchant de parents dépassés, de flics dévoués brisés par l'enquête, des juges, des collègues, des étudiants, et pas mal d'anonymes dont la vie ne sera plus jamais la même depuis l'assassinat horrible de Lætitia.
Même lorsqu'il s'agit d'évoquer la récupération de Sarkozy de l’événement pour faire le procès de la justice et déclenchant ainsi une grève des juges en 2011, tout ceci est expliqué simplement avec franchise. Le style est factuel et spirituel, de celui qui veut transmettre un propos à charge, avec simplicité.

A la lecture de l'existence de cette jeune fille, frappée par un destin funeste, une leçon de vie s'impose. Avant que la mort ne nous emporte, faisons en sorte d'avoir un apprentissage de la vie simple et empreint de bon sens, malgré les incontournables cons et salauds qui nous collent aux basques. J'ignore si ce message était celui à retenir.... mais c'est ce que je retiendrais à la lecture de ce livre magnifique.


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